samedi 11 février 2017

La Jonction Les Carroz - Chamonix



Juillet 2016


Mon compagnon de cordée, j'ai nommé Benoit, un peu "rinçé" après 2 ans de classe prépa pour se lancer en haute montagne, sage résolution, je me tourne vers un autre défi en cet été 2016: rejoindre Chamonix, les Praz de Chamonix pour être exact, depuis les Carroz d'Araches, lieu de vacances familial depuis 45 ans, en mode trail!
Au menu: 41,6km et 3100m de dénivelé positif ET négatif....
Petit défi supplémentaire: je pars seul sur un parcours que je vais découvrir pour les 2/3.

Il est 5h du matin, il fait encore nuit noire aux Carroz. Je me suis levé à 4h pour avaler avec peine une banane et surtout un gâteau énergétique bien sec car trop cuit et pour commencer à m'hydrater au maximum en prévision des heures d'effort sous le beau soleil que prévoit Chamonix-Météo.

Mon sac à dos est prêt et les bâtons sont réglés. Je pars en autonomie, alors il faut prévoir les détails: 3 litres et demi d'eau, 8 barres de pâte d'amande, 3 gels énergétiques, des pastilles de glucose et de sel, une veste coupe-vent, une lampe frontale, une couverture de survie, un tshirt, des chaussettes, une carte top 25, une petite pharmacie, une casquette et l'indispensable téléphone.

Les premiers lacets se font dans la station des Carroz puis je pique tout droit dans la pente et je troque alors les lumières du village pour le faisceau de ma frontale. Il fait frais, je monte à un bon rythme. 30 minutes après le départ, alors que je traverse un alpage aux toutes premières lueurs du jour, je sursaute en entendant un bruit animal; ce que je prends pour le souffle d'un cheval dérangé par ma lampe frontale s'avère en fait être une horde de sangliers qui détalle à 15m devant moi. Mon "palpitant", déjà bien excité par l'effort en montée, fait brusquement un bon dans les tours....

Après cette montée d'adrénaline, je mets quelques instants à retrouver mon calme et repars sur le sentier en direction du lac de Flaine.

Après la nature sauvage du lac, je passe le béton de Flaine et m'engage rapidement sur les pentes des pistes de la station. Au sommet des pistes, je retrouve le parcours sauvage et un labyrinthe de lapiaz où il faut trouver son chemin jusqu'au col du Colonney. Après la fraicheur de l'ubac et de ses névés, je trouve les premiers rayons de soleil au col à 7h45. C'est le moment de faire une première pause et d'envoyer un premier message pour jalonner mon parcours de balises rassurantes à destination de la famille qui viendra m'attendre à Chamonix.

Au col du Colonney
Après le col du Colonney démarre pour moi la partie inconnue du parcours. La descente vers le refuge de Platé n'est pas rapide car le sentier est humide et la terre collée sous mes chaussures me vaut de belles glissades dès que je pose le pied sur le calcaire des lapiaz du Désert de Platé.... Prudence, prudence, je suis tout seul!

Le désert de Platé

Arrivé au creux du vallon, j'ai face à moi la très raide montée vers le col de la Portette que l'on atteint par une sorte de petite brèche. Parvenu au col, s'ouvre devant moi le plus beau panorama de mon parcours: un écrin de verdure et de calcaire, coincé entre l'immensité du Désert de Platé et la barrière d'Anterne, qui abrite un magnifique troupeau de bouquetins mâles. Je profite de ces instants de découverte et reprend ma route vers le passage du Dérochoir, traversant deux grands pierriers difficiles.

Au col de Portette

Des pierriers délicats à gérer en trail


Il est 9h quand je croise le 1er randonneur de la journée, juste avant le passage du Dérochoir où je suis accueilli par un magnifique aigle qui profite des courants ascendants pour planer juste au dessus de l'arête. Ma deuxième balise envoyée, après une brève pause, il faut alors négocier le fameux "passage".... Mais par où descendre, je ne vois aucun début de sentier. En avançant un peu sur l'arrête, je commence à me demander si je suis bien là où je crois être; n'aurais-je pas fait une petite erreur d'orientation? Je reviens légèrement sur mes pas et je vois alors une corde qui part dans la pente... J'ai trouvé le "passage" qui n'est autre qu'un parcours de via ferrata sur 150m de dénivelé. Après les derniers barreaux de cette descente, démarre un très beau passage de mon parcours, entre sentier et passages rocheux, limite escalade, jusqu'au hameau des Ayères que j'atteins vers 9h45.

Fameux passage du dérochoir

Il commence à faire chaud, sous le soleil radieux de fin juillet, et l'eau fraîche de l'abreuvoir du hameau est la bienvenue et l'excuse toute trouvée pour une petite pause car les cuisses ont bien chauffé dans la descente. La montée vers le refuge de Moede Anterne n'est pas très intéressante car elle se fait sur un grand chemin carrossable en 4x4 et la chaleur est pénible: le soleil tape dur, sans vent pour rafraîchir la machine en surchauffe. J'arrive vers 10h30 au refuge et je m'accorde une vraie pause de 15 minutes car les jambes commencent à être lourdes et l'arrivée est encore loin.

En route vers le refuge de Moede Anterne



Le temps de faire le plein d'eau fraiche, d'effectuer quelques étirements légers pour soulager le dos et de discuter un peu avec un couple fort sympathique qui prend son petit déjeuner au soleil sur la terrasse du refuge après avoir bivouaquer au Lac d'Anterne, et me voilà reparti. La longue descente qui m'attend jusqu'au fond de la petite vallée de la Diosaz est l'occasion pour mois de changer de régime alimentaire et de manger tranquillement le sandwich emporté; jambon cru et tomme de Savoie, rien de tel pour faire oublier les pâtes d'amande et les gels énergétiques. La descente est humide car un ruisseau a souvent trouvé son lit sur le sentier, alors méfiance, ça glisse!

Il faut encore descendre au fond du vallon et remonter en face, avant de plonger sur Chamonix....

Je traverse les eaux tumultueuses de la Diosaz par un joli pont en bois d'où je peux admirer le Mont Buet au fond de la vallée. En descente, si le cardio n'est pas mis à rude épreuve, les cuisses en revanche souffrent; alors je trouve un coin à l'ombre juste après le pont pour me reposer et absorber mon dernier gel, car la dernière montée de la journée est devant moi: 850m jusqu'au col du Brévent, ça va piquer!

Le point positif est que cette dernière montée se fait sur le versant Nord des Aiguilles Rouges; le soleil tape moins fort et un léger vent rend l'atmosphère très agréable. Je me sens bien, je grimpe à un bon rythme sur ce magnifique sentier très sauvage; aucune trace humaine à l'horizon, c'est la montagne à l'état pur.

Même les randonneurs se font très rares sur ce flan, nous sommes pourtant sur le GR5. Tout va bien jusqu'à un gros coup de "moins bien" à 150m sous le col; sensations bizarres dans la poitrine, je n'avance plus. L'arrêt s'impose, je n'ai pas fait de pause depuis la Diosaz. Après 5 minutes de repos, ponctuées de grandes respirations, d'une barre de pâte d'amande et de beaucoup d'eau, je repars au rythme tranquille de l'alpiniste, le traileur est fatigué. Rapidement je retrouve des sensations et des jambes, ce qui me permet de terminer la montée jusqu'au col en honorant mon statut de traileur!



Au col du Brévent

Il est 12h45 quand j'atteins le col du Brévent et que je retrouve la civilisation: Chamonix est à mes pieds et de nombreux randonneurs, empruntant le téléphérique du Brévent, font une pause au col. Il ne me reste plus qu'à descendre aux Praz..... Mais cela fait 7h45 que je suis parti et la fatigue est bien là! Cette descente ne va pas être une partie de plaisir!

Après une petite pause et une dernière photo, je me lance dans le dernier acte. Rapidement je croise un couple de grimpeurs, cordes sur le sac à dos, avec qui je discute 3 minutes. Cette première partie de la descente est très technique car le sentier est étroit, raide et très caillouteux. Parvenu à Planpraz, la difficulté va consister à trouver les bons sentiers car ce versant des Aiguilles rouges est sillonné par de très nombreux itinéraires, plus ou moins fréquentés. Alors que je dois descendre dans la vallée, une série de petites montées rebelles finit de m'user les jambes.

Dans les 150 derniers mètres de dénivelé, je me guide aux cris et rires des enfants, qui jouent autour du torrent du Paradis des Praz, pour trouver le bon sentier. Ca y est, j'y suis! Il est 14h30 et je peux poser mes fesses sur une chaise au bord du torrent glacial où m'attendent Emmanuelle et Thomas. Je prends le temps de retirer enfin mes chaussures, devenues au fil de la descente des engins de torture, et de mettre les jambes dans l'eau glacée avant de me jeter sur une omelette aux pommes de terre... Sans doute la meilleure omelette de toute ma vie! Une bière et une part de tarte à la myrtille complètent le repas du guerrier.

9h30 d'effort sur un parcours magnifique, montagnard, varié et technique. C'est ma fierté de l'été 2016.